Petite plongée dans le sommeil – Partie 1


Imaginez la publicité d’un laboratoire pharmaceutique ci-dessous : seriez-vous intéressé(e) ?

Les scientifiques ont découvert un nouveau traitement révolutionnaire qui vous fait vivre plus longtemps, améliore votre mémoire, vous rend plus attractif, vous garde mince et diminue vos fringales. Il vous protège du cancer et de la démence sénile. Il évite le rhume et la grippe. Il réduit le risque de crise cardiaque et d’AVC, sans parler du diabète. Vous vous sentirez même plus heureux, moins déprimé et moins anxieux.

Ce remède miracle ? Le sommeil.
C’est ce que raconte et explique le neuro-scientifique Matthew Walker dans son livre Why We Sleep : Unlocking the Power of Sleep and Dreams.
Matthew Walker est professeur de neuroscience et de psychologie à l’Université de Berkeley (Californie, États-Unis), directeur du laboratoire de sommeil et de neuro-imagerie et ancien professeur de psychiatrie à l’Université d’Harvard.
Dans son livre, il met à bas quelques mythes, passe en revue la recherche et donne quelques conseils pour mieux dormir – ainsi que la meilleure façon de mettre en œuvre ces conseils.

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D’abord, les faits : Deux-tiers des adultes de tous les pays développés ne dorment pas les huit heures de sommeil recommandées par les scientifiques. Et, nous dit Matthew Walker – qui a l’air de connaître son sujet – : ne pas assez dormir est vraiment très très mauvais.
Si nous dormons moins de 6 ou 7 heures par nuit, voici un petit florilège des conséquences de cette insuffisance de sommeil : cela démolit notre système immunitaire ; plus que double notre risque de cancer ; augmente notre probabilité de développer la maladie d’Alzheimer ; perturbe tellement le taux de glycémie que l’on devient pré-diabétique ; augmente la probabilité que nos artères coronaires deviennent bloquées et fragiles, ce qui nous met sur la voie d’une maladie cardiovasculaire ou d’un accident vasculaire cérébral ; contribue à toutes les maladies psychiatriques majeures, y compris la dépression, l’anxiété et les pulsions suicidaires.

Donc, si nous disons : « Dormir, c’est du temps perdu, je dormirai quand je serai mort », eh bien, cela peut arriver beaucoup plus vite que prévu.
Bon, vous allez bien, vous dormez peu mais vous ne vous sentez pas fatigué. Ou vous avez « appris » à vivre en dormant peu. Ou vous avez des pouvoirs de mutant. La vérité, nous dit Matthew Walker, est que vous êtes trop fatigué pour réaliser à quel point vous êtes fatigué. Vous êtes comme celui qui est totalement saoul et qui réclame les clés de sa voiture en criant : « Je me sens parfaitement bien, je peux conduire ! »
Ce qui est probablement la raison pour laquelle « … les accidents de la route causés par la somnolence dépassent ceux causés par l’alcool et les drogues combinés ».

Notre quantité de sommeil affecte notre vie, et elle peut affecter celle des autres – ou l’interrompre définitivement.
Citons Matthew Walker :
« Après une garde de 30 heures sans dormir, les internes font 460% plus d’erreurs de diagnostic que lorsqu’ils sont bien reposés après avoir suffisamment dormi. Au cours de leur internat, un interne sur cinq commettra une erreur médicale due à l’insomnie qui causera un préjudice important à un patient. Un interne sur vingt va tuer un patient en raison d’un manque de sommeil. »

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Nous avons besoin de huit heures de sommeil. La National Sleep Foundation et les Centers for Disease Control and Prevention (Centres de contrôle et de prévention des maladies) américains recommandent tous les deux de 7 à 9 heures de sommeil.
Les humains ont besoin de plus de sept heures de sommeil chaque nuit pour maintenir leur performances cognitives. Après dix jours à dormir seulement sept heures par nuit, le cerveau est aussi dysfonctionnel que si vous n ’aviez pas dormi pendant 24 heures.

Et n’oublions pas que la privation de sommeil est couramment utilisée comme méthode de torture. D’une certaine manière, c’est une torture que nous nous infligeons à nous-même.

Mais d’abord, pourquoi avons-nous absolument besoin de sommeil ?
A première vue, du point de vue de l’évolution, le sommeil est un total non-sens : on ne peut pas rechercher de la nourriture, trouver un partenaire sexuel, socialiser ou faire quelque chose d’utile pendant que l’on dort. Et on est vulnérable aux prédateurs.
Pourtant, tout animal qui a une durée de vie de plus de quelques jours dort ou a une activité qui s’apparente au sommeil. C’est donc qu’il y a là quelque chose d’important. Et en fait, il y a beaucoup de choses importantes qui se passent lorsque nous dormons.

1. Nos capacités cognitives. Le sommeil est essentiel pour le développement de la mémoire et des compétences cognitives. Dormez peu, et la qualité de l’apprentissage diminue de 40%. Comme si vous passiez de 18/20 à 11/20 : dommage.
Citons Matthew Walker :
« Quand nous avons comparé l’efficacité de l’apprentissage entre les deux groupes, le résultat était clair : il y avait un déficit de 40% dans la capacité du groupe privé de sommeil à mémoriser de nouveaux faits, par rapport au groupe qui avait eu une nuit complète de sommeil. »

2. Une auto-thérapie. Le sommeil joue le rôle de thérapeute personnel, travaillant émotionnellement sur les problèmes auxquels vous avez à faire face.
Citons Matthew Walker :
« Les rêves, pendant la période de sommeil paradoxal, offrent une forme de thérapie pendant la nuit. Les rêves pendant le sommeil paradoxal résolvent la souffrance des épisodes émotionnels difficiles, voire traumatisants, que l’on a vécus au cours de la journée, permettant une résolution émotionnelle lorsque nous nous réveillons le lendemain matin. »

3. Notre intelligence émotionnelle. Le sommeil influence notre intelligence émotionnelle. Nous savons que l’on est souvent grognon après une mauvaise nuit. Mais ce que l’on ignore souvent, c’est que le sommeil nous aide aussi à gérer les émotions des autres. Moins de sommeil signifie moins d’intelligence émotionnelle.
Citons Matthew Walker :
« En supprimant le sommeil paradoxal, nous avions, littéralement, enlevé aux participants la capacité de lire le monde social autour d’eux. »

4. Aide à la résolution de problèmes. Le sommeil nous aide à résoudre des problèmes. Toutes les personnes créatives ou qui ont à résoudre des problèmes, scientifiques ou autres, connaissent la vertu de laisser passer un nuit, de « dormir sur le problème ».
Citons Matthew Walker :
« Les choses étaient très différentes pour les participants qui avaient passé une nuit complète de sommeil. Près de 60% d’entre eux ont eu des moments clairs de créativité, trois fois plus que ceux qui avaient mal dormi. »

5. L’équipe de nettoyage. Sur le plan de la santé, le sommeil est l’équipe de nettoyage après les heures de travail. Vous mettez tout un foutoir dans votre matière grise, avec tout ce que vous faites toute la journée. Sans ce concierge pour balayer ces moutons de poussière amyloïde, vous avez beaucoup plus de chance de développer la maladie d’Alzheimer.
Citons Matthew Walker :
« Sans sommeil suffisant, les plaques amyloïdes s’accumulent dans le cerveau, surtout dans les régions où le sommeil profond est intense, les attaquent et les dégradent … Dormir trop peu pendant la vie adulte augmente considérablement le risque de développer la maladie d’Alzheimer. »

6. Plus sexy. Dormir nous rend sexy, ou du moins améliore notre beauté – la recherche confirme que la Belle au Bois Dormant était belle parce qu’elle dormait…

Après nous avoir convaincu que le manque de sommeil, c’est mauvais, Matthew Walker nous donne quelques conseils, que nous détaillerons dans un prochain billet.

Bruno Hourst

Références
Why We Sleep : Unlocking the Power of Sleep and Dreams
Why We Sleep by Matthew Walker review – how more sleep can save your life