La publicité pour la malbouffe augmente la consommation des enfants de 45%


On associe maintenant de plus en plus le mot « obésité » au mot « épidémie ». Et il ne s’agit pas que d’adultes : aux États-Unis, un tiers des enfants est obèse et un tiers à risque.

A qui la faute ? Est-ce que nos gènes anticipent une prochaine famine ? Peut-être. Mais une chose est sûre, c’est l’influence de la publicité pour la malbouffe. Aux États-Unis (il serait intéressant de savoir ce qu’il en est en France), les enfants sont exposés chaque jour à 15 publicités télévisées, soit près de 5500 par an, et 98% de ces publicités font la promotion de produits riches en sel, en gras et en sucre.
Les entreprises alimentaires, bien sûr, se défendent de promouvoir le développement de l’obésité infantile et soutiennent que leurs publicités n’encouragent pas les enfants à manger plus, mais à acheter leur marque plutôt qu’une autre. Vérité ou hypocrisie ?

Une étude publiée dans la revue Health Psychology par le Dr Jennifer Harris et ses collègues de l’Université de Yale (États-Unis) a montré que la publicité à la télévision pour des aliments amorçait des comportements spontanés de grignotage, chez les enfants comme chez les adultes, et donc influence bien plus que la seule préférence de la marque. Voyons un peu cette étude en détail.

Dans une première expérience, 118 enfants, âgés de 7 à 11 ans, ont regardé un dessin animé avec des pauses publicitaires aux intervalles habituels. Chaque enfant, choisi au hasard, a regardé soit quatre publicités pour des produits à grignoter, soit quatre publicités pour d’autres produits non alimentaires destinés aux enfants.
Pendant qu’ils regardaient le dessin animé, les enfants avaient devant eux un bol de chips au cheddar, que l’on peut considérer comme de la nourriture de mauvaise qualité, et on leur a dit qu’ils pourraient en grignoter s’ils le souhaitaient.
Parallèlement, les expérimentateurs ont fait le maximum pour éliminer des facteurs connexes qui auraient pu fausser les résultats.
Les expérimentateurs ont ensuite mesuré la quantité de biscuits au cheddar consommée par les enfants et ont comparé les deux groupes. Les enfants qui avaient regardé le dessin animé qui incluait des publicités pour des aliments consommaient 45% de biscuits (mauvais pour leur santé) de plus que ceux qui voyaient des publicités non alimentaires.

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Et qu’en est-il des adultes ? Est-ce que les publicités pour de la nourriture les font également manger plus ? On pourrait les penser plus raisonnables, donc qu’ils sauraient mieux maîtriser leur désir de grignoter.
Le Dr Harris et ses collègues ont mené une deuxième expérience auprès de 98 étudiants âgés de 18 à 24 ans.
Pour cette expérience, une configuration plus sophistiquée a été nécessaire. Les participants n’avaient pas de casse-croûte devant eux pendant qu’ils regardaient la télévision, mais des collations leur étaient présentées par la suite dans ce qui était apparemment une expérience sans rapport.
Cette fois, au lieu de dessins animés, les participants ont regardé une comédie. On leur a dit que les publicités avaient été laissées parce que les psychologues s’intéressaient aux effets de la télévision sur l’humeur et qu’ils allaient étudier l’influence d’une comédie sur leur humeur. En fait, tout les participants ont vu la même comédie, mais les publicités intermédiaires étaient différentes.

Les participants ont été répartis au hasard en trois groupes. Dans le premier groupe, ils ont vu des publicités pour des aliments à grignoter, dans le second ils ont vu des publicités pour des aliments nutritifs de bonne qualité et dans le troisième, ils ont vu des publicités pour des produits non alimentaires. Après avoir regardé le film, on les a emmenés dans une autre pièce pour ce qu’on leur a dit être une étude différente impliquant la dégustation et l’évaluation de quelques aliments. Les collations offertes variaient en matière de qualité alimentaire : il y avait des légumes, des chips, des biscuits, et différents autres aliments. Les participants ont été invités à goûter chacun d’eux et à en manger autant ou aussi peu qu’ils le souhaitaient.
Ensuite, les expérimentateurs ont mesuré exactement ce que chaque personne avait mangé.
Une fois de plus, les publicités pour les aliments à grignoter avaient frappé fort : ceux qui avaient vu les publicités pour ce type d’aliment en consommaient beaucoup plus (environ un tiers de plus) que ceux qui avaient vu des publicités nutritionnelles ou non-alimentaires.
Étonnamment, les publicités pour les nourritures malsaines ont non seulement augmenté la quantité de nourritures malsaines mangées, mais elles ont aussi augmenté le nombre de personnes qui mangeaient plus, parmi toutes les options disponibles : les légumes sains et les produits nutritionnels inclus.

Donc, résumons : les publicités sur les aliments à grignoter – que l’on peut considérer pour la plupart, sinon tous, comme de la malbouffe – font en sorte que la plupart des gens mangent plus. Après les avoir vues, les enfants mangent presque deux fois plus, les adultes mangent environ un tiers de plus et cet effet se répercute sur les aliments autres que ceux proposés dans les publicités.

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Nous pensons que ce sont « les autres » qui sont influencés pas la télévision, mais pas nous.
Ce que le Dr Harris et son étude nous disent, c’est que la plupart des gens sont influencés par la publicité sur les aliments, et de façon plus large que ne le voudraient les publicitaires. Il ne s’agit pas seulement de choisir entre telle marque et telle marque d’aliments à grignoter : les publicités nous font manger plus de tout.
Pour prendre conscience de l’immensité du problème, le dernier mot revient au Dr Jennifer Harris et à ses collègues de l’American Review of Public Health  : « Des progrès en matière de nutrition infantile sont difficiles à imaginer si la puissance du marketing des aliments et des boissons n’est pas atténuée, voire éliminée. La Robert Wood Johnson Foundation investit 100 millions de dollars par an pour inverser les tendances à l’obésité chez les enfants – le plus gros effort de ce genre dans l’histoire. Parallèlement, les industries agro-alimentaires consacrent plus que cela tous les mois rien qu’aux États-Unis dans leurs opérations de marketing, essentiellement pour de la malbouffe à destination des jeunes. »
Et il n’a été question ici que de la publicité télévisée. Il faudrait y rajouter la publicité dans les rues, les journaux et autres médias.
Pensez-y quand vous parcourrez les rayons – chaque jour un peu plus grand – des nourritures à grignoter salées et sucrées et des sodas dans votre hypermarché favori.

Bruno Hourst

Références
Priming effects of television food advertising on eating behavior
A Crisis in the Marketplace : How Food Marketing Contributes to Childhood Obesity and What Can Be Done
Ads For Unhealthy Foods Increase Children’s Consumption 45%